En 1934, Simone Weil décide de travailler en usine. Son objectif ? Faire l’expérience concrète du travail manuel des ouvriers d’usine.
Issue d’une famille libérale bourgeoise et diplômée de l’École Normale Supérieure en philosophie, Simone Weil s’intéresse à la condition ouvrière. En tant que philosophe, elle décide de donner vie à ses idées. Allant au-delà de la simple formation, elle se plonge dans l’incarnation des situations qu’elle étudie. Elle s’est ainsi préoccupée du sort des personnes en situation de précarité, en particulier des ouvriers. Cet intérêt est développé dans son livre La Condition Ouvrière publié en 1951 dans lequel elle résume également son parcours.
Un concept central de sa pensée est la valeur qu'elle accorde à la souffrance des classes populaires. Selon elle, le malheur des ouvriers et des personnes marginalisées briderait leur capacité à remettre en question les raisons de leurs difficultés. Le travail physique, épuisant, empêcherait en effet les ouvriers de prendre du recul, les rendant de fait prisonniers d’une routine qui les maintiendrait dans la pauvreté. Ils n’auraient ainsi ni le temps ni l’énergie d’inverser cette situation. De même, en prêtant attention aux détails de la vie il serait possible de développer une éthique permettant de mieux comprendre l’existence et de mieux analyser la manière dont la souffrance affecte les individus, même s’ils n’en ont pas toujours conscience.
Simone Weil souligne également la nécessité de résister à la conformité, que ce soit dans le cadre du travail en usine ou encore dans la vie quotidienne. Elle offre ainsi une critique de l’aliénation des travailleurs et de la façon dont les structures sociales renforceraient leur docilité. En opposition à cette aliénation, l’enracinement possèderait une importance particulière. Il se manifesterait dans des valeurs comme le patriotisme ou l’amour chrétien du prochain. Aux yeux de la philosophe, la foi consisterait à agir pour le bien. Elle considère qu’il serait capital de comprendre la complexité du monde créé par Dieu, même si son absence semble évidente, car cette reconnaissance permettrait aux individus de réellement apprécier la vie.
Enfin, Weil insiste sur un enseignement qui réveille les consciences face à la routine et à la conformité de la vie quotidienne. Pour elle, enseigner aux ouvriers est une manière de déclencher une prise de conscience et de préparer une transformation vers un ordre plus juste et égalitaire. Le Front populaire de 1936 est par ailleurs essentiel dans sa réflexion. Ce mouvement politique français qui a uni des forces de gauche pour faire face aux menaces fascistes et aux crises économiques des années 1930 a apporté des réformes sociales importantes comme la réduction du temps de travail et l’augmentation des salaires. Bien que ces mesures aient suscité beaucoup d’espoir parmi les travailleurs, le mouvement a fini par s’essouffler face aux tensions politiques et aux difficultés économiques. C’est à cette époque que Simone Weil publie ses réflexions, soulignant l’importance de vivre ces engagements radicaux dans les mouvements des luttes ouvrières afin de parvenir à des changements réels et concrets comme ce fut le cas en 1936.
Bien que les contextes historiques et géographiques soient différents, il existe des parallèles logiques entre le mouvement du Front populaire de 1936 en France et les manifestations en Chine dès les années 1919, connues sous le nom de Mouvement du 4 mai au cours duquel les manifestants se sont ralliés aux principes de la science, de la démocratie et du nationalisme. Ces derniers ont appelé à une mobilisation des classes populaires et à une transformation révolutionnaire face à l’oppression féodale et colonialiste. Les deux périodes illustrent ensemble comment des crises peuvent engendrer des réponses similaires dans différentes parties du monde, basées sur des idéologies de justice sociale et de solidarité.
Comments