La ville de la porcelaine Jingdezhen: Luxe impérial, pont culturel et support artistique
- Jingjie Zhu
- Mar 14
- 5 min read
Autrice: Jingjie Zhu
Editrice: Oriane Kergoat
Quand on évoque Jingdezhen, à quoi les Chinois pensent-ils ? Aux motifs bleus et vaporeux de la porcelaine bleue et blanche, à la lumière éclatante des émaux ou aux flammes immobiles des fours ancestraux qui ont brûlé des siècles durant. Cette petite ville porte en elle la mémoire millénaire de la porcelaine chinoise – là où la terre et le feu s'entrelacent.
Du berceau de la terre et du feu à une route de la porcelaine qui relie les civilisations
L'histoire de la céramique et de la porcelaine commence avec la terre et le feu. Dans la mythologie chinoise, Nüwa(女娲), mère de toute l'humanité, aurait façonné les hommes à partir de la boue et de l'eau. La poterie est l'une des premières inventions humaines ; quant à la porcelaine, elle marque un bond technique et culturel. La poterie, cuite à basse température, est rustique et fonctionnelle, tandis que la porcelaine exige une maîtrise exceptionnelle des hautes températures pour atteindre sa texture fine et lisse. Jingdezhen, grâce à ses riches ressources en kaolin (appelé « argile de porcelaine » et qui tire son nom du village de Gaoling à Jingdezhen), est devenue le berceau de la porcelaine. Cette terre particulière a ainsi scellé le destin de la ville avec le feu et l'argile.

Dans les temps anciens, le feu des fours de Jingdezhen était intense et implacable, répondant aux exigences du pouvoir impérial. Les artisans des fours impériaux, semblables à des danseurs sur le fil du rasoir, façonnaient la terre, superposaient les émaux et enfournaient inlassablement leurs créations dans des flammes ardentes jusqu'à ce que ces objets luxueux et symboles du pouvoir émergent des braises. Ces porcelaines, sublimes à couper le souffle, portaient aussi le poids oppressant du pouvoir. Chaque motif délicat racontait la souffrance et l'abnégation d'artisans enfermés dans leur tâche répétitive. Était-ce la crainte, le respect pour l'artisanat ou une forme d'obstination qui animait leurs cœurs dans ces éclats de lumière éblouissante ?


Loin des fours impériaux, les ateliers populaires racontaient une autre histoire. Les flammes y étaient plus chaleureuses, produisant des bols et des plats solides et fonctionnels pour le quotidien des familles, ou encore des porcelaines colorées destinées à l'exportation. Les fastes des fours impériaux et la simplicité des ateliers populaires coexistaient, donnant à Jingdezhen une esthétique paradoxale : à la fois somptueuse et proche du quotidien. Cette harmonie entre grandeur et modestie permit à l'artisanat de la ville d'atteindre un équilibre subtil entre l'élite et le peuple.


Depuis le VIIe siècle, les porcelaines de Jingdezhen voyagèrent par-delà les mers, reliant l'Orient et l'Occident. Surnommée « l'or blanc », la porcelaine de Jingdezhen surpassa en exportations la soie à partir de la dynastie Song. Ces créations, qui accompagnaient la route maritime de la soie, franchirent continents et océans, traversant l'Eurasie, l'Afrique et l'Amérique du Nord. Elles ne furent pas seulement des trésors pour les nobles, mais aussi des vecteurs de styles et de cultures.
Imaginez une porcelaine de Jingdezhen arrivant en Arabie, se mêlant aux motifs arabesques, puis revenant en Chine avec des éléments ornementaux réinventés ; ou bien adoptant les émaux rouges et bleus du style japonais ; ou encore devenant la coqueluche de Louis XIV en France, ornant le Petit Trianon au château de Versailles. Chaque pièce de porcelaine raconte l'histoire d'échanges interculturels, une mémoire tangible des civilisations.
Libération ou contrainte renouvelée ? L'art entre héritage et renaissance
Les flammes des fours de Jingdezhen continuent de brûler de nos jours. Les fours impériaux sont devenus des musées vivants, témoins d'un savoir-faire transmis à travers les siècles, tandis que Taoxichuan (陶溪川) est devenu un laboratoire de créativité pour les jeunes artistes, où terre et émail rencontrent des visions contemporaines. Grâce aux technologies modernes, la porcelaine a quitté sa tour d'ivoire pour entrer dans les foyers de chacun. Des articles produits en série aux créations artisanales uniques, chaque pièce de porcelaine peut porter l'émotion de son créateur. Elle n'est plus confinée à un lieu, un symbole ou une forme de pouvoir, mais devient une expression artistique universelle alliant nature et culture.
Parallèlement, Jingdezhen attire de plus en plus de « Jingpiao »(景漂) – des artisans, artistes et rêveurs venant des quatre coins du monde, à la recherche d'inspiration ou séduits par le charme brut de cet artisanat. Leurs œuvres témoignent d'un dialogue entre tradition et modernité, un lien entre la terre et l'âme humaine.
Le toucher de la terre humide peut rappeler les jeux d'enfants, ces souvenirs flous où les doigts modèlent la boue pour lui donner une forme vivante. L'histoire de Jingdezhen commence avec cette sensation simple mais fondamentale. Mais cette terre fertile a aussi ses limites. Le kaolin, qui a fait la richesse de cette ville est une ressource épuisable. Alors que les réserves diminuent, Jingdezhen doit aujourd'hui réinventer son avenir dans les contraintes imposées par la nature.

Heureusement que l'art de la porcelaine s'est libéré de l'emprise impériale. Il n'est plus un simple symbole du pouvoir, ni un artefact figé dans le passé. Dans un environnement de création plus libre, la porcelaine pousse désormais avec une vitalité presque sauvage. Elle peut être un produit industriel froid et précis, ou une œuvre d'artisan, empreinte de silence et d'émotion. Chaque couche d'émail est une tentative, une exploration hésitante mais pleine d'espoir entre passé et futur.




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