top of page
Lenses

La Lentille
​《透镜》

Search

Qui a le dernier mot à l'Ecole: Le Trône ou l'Autel?

Auteur: Jimmy Town

Editrice: Oriane Kergoat


La laïcité est définie par la neutralité du gouvernement en matière religieuse qui assure la liberté de conscience pour tous. Contrairement à la notion anglo-américaine de secularization (sécularisation), ou à la Säkularisierung allemande, voire à la laiklik turque, la laïcisation à la française, tout comme son processus de modernisation, n’a jamais suivi un chemin linéaire. Elle a été marquée par des ruptures, des allers-retours et la coexistence de plusieurs modèles, tels que réorganisation, décléricalisation, la séparation et la contractualisation. L’évolution des politiques éducatives et des lois scolaires constitue à ce titre une porte d’entrée pour observer la complexité de la laïcisation dans la France moderne et contemporaine.



Rentrée des classes d'écoliers [Agence Rol] (1929) | Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.
Rentrée des classes d'écoliers [Agence Rol] (1929) | Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.


En 1848, l’Hexagone s’enflamme: naissance en fanfare la Deuxième République! Première fois que le peuple vote au “suffrage universel”... bon, faut préciser - universel masculin… les femmes attendent encore. Tandis que les remous de la Révolution de février n’avaient pas encore fini de secouer les pavés parisiens, un certain Louis-Napoléon Bonaparte, neveu à particule et prince-président ambitieux, est en train de préparer, en douce et dans l’ombre, un petit coup d’État à la napoléonienne, son propre scénario impérial à ce fois. Cette même année, l’Assemblée constituante rédige une Constitution où l’on voit, pour la toute première fois, s’inscrire en lettres républicaines les grands idéaux de liberté, égalité, fraternité. Mais comme le disent les chinois: « tout commence avec les enfants» (“凡事要从娃娃抓起” — Fán shì yào cóng wá wá zhuā qǐ). En clair, pour faire germer des valeurs dans les têtes, il faut planter les graines à l’école.

Réorganisation


Deux ans plus tard, la loi élaborée par le comte Frédéric Alfred Pierre de Falloux débarque pour proclamer la liberté de l’enseignement secondaire, tout en ouvrant grand les portes des lycées aux ecclésiastiques. Voilà que le clergé reprend du service, en plein cœur des salles de classe. Cette loi a mis fin au monopole de l’Université impériale (sous Napoléon I) sur les établissements scolaires et a créé des académies dans chaque département, une unité administrative plus petite que la région. L’académie constitue une circonscription administrative dépendante du ministère de l’Éducation nationale, chargée de superviser les établissements scolaires sur un territoire donné.
Contrairement au Concordat napoléonien qui visait une réorganisation autoritaire et centralisatrice du culte, la loi Falloux de 1850 représente une réorganisation conciliante, dans un contexte de recomposition politique où le président Louis-Napoléon Bonaparte, futur Napoléon III, cherche à s’attirer les faveurs du parti clérical et peut-être aussi celles du pape Pie IX, alors encore influent dans la diplomatie européenne. C’est pourquoi cette loi a été permissive envers les congrégations catholiques.

 1848 -1851: Loi Falloux
 1848 -1851: Loi Falloux

Décléricalisation


Dans les années 1880 lors du onzième anniversaire de la Troisième République, Jule Ferry, Président du Conseil des ministres procède aux réformes pour reconstruire les écoles primaires et restaurer l’autonomie de l’Université. Les contextes législatifs nous montrent des objectifs qui évoluent en partie. Par exemple avec l’extrait suivant, de la loi dite Loi Guizot du 28 Juin 1833 sur l’instruction primaire:

 Art. 1. - « L’instruction primaire élémentaire comprend nécessairement: 
  l’instruction morale et religieuse »

En revanche, l’extrait suivant, de la loi dite Loi Ferry du 28 Mars 1882 portant sur l’organisation de  l’enseignement primaire mentionne: 

 Art. 1. — « L’enseignement primaire comprend: L’instruction morale et civique [...] »

Les lois de Jules Ferry visaient à faire en sorte que les jeunes générations françaises soient instruites selon les principes et les valeurs républicaines. Cela était particulièrement important pour assurer la stabilité de la République, d’autant plus après la défaite contre les Prussiens et pour détacher progressivement l’instruction des valeurs cléricales traditionnellement liées à la monarchie ou à l’État impérial.



Ecole de garçons, une salle au travail [Agence Rol] 1912, Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.
Ecole de garçons, une salle au travail [Agence Rol] 1912, Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.
"En classe", gravure sur bois de Charles Baude, circa 1889
"En classe", gravure sur bois de Charles Baude, circa 1889
De plus, la Loi du 28 Mars 1882 de Jules Ferry rend pour la première fois dans l’Histoire française l’instruction obligatoire pour les filles: 

Art. 4. - « L’instruction primaire est obligatoire pour les enfants des deux sexes âgés de six ans révolus à treize ans révolus[…] »


Les lois Ferry instaurent une école gratuite, obligatoire et laïque. Elles arrivent à remplacer l’instruction cléricale, traditionnellement liées à la monarchie, par une éducation civique à tous les élèves afin qu’ils soient traités de manière équitable, quelles que soient leurs croyances.


Décléricalisation, 1881 - 1882: Loi Jules Ferry
Décléricalisation, 1881 - 1882: Loi Jules Ferry
L'Affaire Dreyfus, un scandale politico-judiciaire révélateur de profondes divisions entre la République, l’armée, et l’Église, a provoqué une perte massive de confiance dans les trois institutions au sein de la société française. Elle a conduit certains partis politiques dont ceux de gauche, mais surtout républicains de lancer une politique anticléricale. Entre 1901 et 1904, sous l’impulsion de cet anticléricalisme, la République engage une offensive contre l’influence des congrégations religieuses dans l’enseignement.
L’arsenal républicain mobilise alors tous les outils du pouvoir séculier. Par exemple avec la loi des associations du 1901, l’État peut décider d’approuver ou de refuser l'existence de groupes d'enseignement catholiques. Les républicains dominent dès alors les écoles publiques et exercent une intervention à la fois judiciaire et de gestion sur les écoles privées appartenant à l’Église en interdisant aux curés d’enseigner sans autorisation expresse. Ils étaient déterminés à purifier l’espace éducatif public de l’empreinte confessionnelle, héritée des alliances historiques entre l’Église et la monarchie.

1901-1904: Loi des associations (radicaux)
1901-1904: Loi des associations (radicaux)

Séparation


À partir de 1903, une nouvelle étape est franchie. La Commission Parlementaire, dirigée par Aristide Briand (alors rapporteur), formalise une rupture doctrinale avec la loi de 1901, il ne s’agissait plus seulement de contrôler l’action des congrégations, mais d’organiser une séparation structurelle entre l’État et les Églises. La laïcité se détacha alors du registre de la persécution pour entrer dans celui de l’espérance institutionnelle.
L’École devient le laboratoire d’un républicanisme scientifique et progressiste. On y développe des cours du soir, des universités populaires, et une pédagogie fondée sur l’esprit critique. L’institution des associations cultuelles permet aux communautés spirituelles de continuer leurs pratiques, mais dans le strict cadre privé. La division a été consolidée par la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État. Cela signifie que les institutions publiques, notamment l’École, doivent rester indépendantes de toute influence religieuse, celle-ci devenant une affaire de conscience, relevant de la sphère intime.


Tableau: Statistiques des Écoles Publiques Laïques
Tableau: Statistiques des Écoles Publiques Laïques


Après les lois d'associations de 1905 (cultuelles)
Après les lois d'associations de 1905 (cultuelles)


Contractualisation


Au fil du temps, la laïcité appliquée au champ éducatif a dû s’adapter à de nouveaux contextes. La loi Debré de 1959 instaure la possibilité pour des établissements d’enseignement privé d’être sous contrat avec l’Etat. Ainsi l’Etat offre une aide financière aux établissements qui souhaitent garder un aspect religieux à condition qu’ils appliquent le même programme scolaire que dans l’enseignement public.


Suite à la loi Debré (1959)
Suite à la loi Debré (1959)

Enfin, des événements tragiques ces dernières années ont souligné le rôle crucial de l'éducation dans la formation de citoyens capables de comprendre les principes démocratiques, en particulier la liberté d’expression. En 2013, le ministère de l’Éducation nationale a introduit la Charte de la laïcité, affichée dans chaque établissement scolaire. Elle rappelle aux élèves et aux enseignants les valeurs fondamentales de la République, y compris la neutralité religieuse.

Charte de la Laïcité, Ministère de l'Education nationale
Charte de la Laïcité, Ministère de l'Education nationale


Les Écoles normales primaires


Les régimes politiques français du XIXe siècle étaient très instables, car le peuple devait se distancer d’une culture politique profondément enracinée dans la monarchie de pouvoir divin, donc de nature religieuse, pour s’adapter à une succession de formes de gouvernement : une Première République, un Empire (à nouveau teinté de religiosité), une monarchie absolue (religieuse), une monarchie parlementaire (encore partiellement religieuse), une République, encore un Empire, etc.
Il semblait logiquement nécessaire de promouvoir de nouvelles idées susceptibles de durer malgré les divisions politiques au sein de la société entre monarchistes, clergistes, impérialistes, républicains laïques, républicains croyants… Les enfants ont naturellement été considérés comme un point de départ idéal pour  l’enracinement idéologiques. A ce moment là, l’École normale porte la responsabilité de former des enseignants capables de diffuser les valeurs laïques à l'échelle nationale. C’est pourquoi les professeurs de l’époque ont été souvent surnommés les « Hussards noirs de la République », selon Charles Péguy, une métaphore dérivée des soldats hongrois réputés pour leur efficacité et leur dévouement à leurs missions, ici entendue comme éducative. 
Fait intéressant: même aujourd’hui, en France, l’expression “école normale” est synonyme d’École Normale Supérieure (ENS), une institution prestigieuse, tournée vers la recherche académique de haut niveau, sans lien direct avec la formation des enseignants du primaire et du secondaire, alors même que sa mission fondatrice datée au début de la Révolution (1790s) était d'établir l'ensemble du système éducatif sur le territoire. Et pourtant, en Chine, toutes les universités pédagogiques sont systématiquement traduites en français par “école normale”, ce qui, pour une oreille française, confère à ces établissements une image élitiste. Cela étant dit, comme l’ENS, les universités normales chinoises ont aussi développé une inclusivité disciplinaire, bien au-delà de leur mission originelle de formation des enseignants.


Envie d'aller plus loin avec des explications simples?





 
 
 

Comments


bottom of page